PROJECT POWER
Concept, éxecution et frustration
Le début d’un film est toujours un moment crucial. Les premiers plans, l’introduction à l’univers… En quelques minutes maximum, il est généralement facile de savoir si l’on va adhérer ou non. Et lorsque, au hasard d’une sélection Netflix, je tombe sur un film qui, en moins de 10 minutes, ose enchaîner: Joseph Gordon-Levitt en policier “hardboiled”, des néons à chaque coin de rue et, surtout, Machine Gun Kelly, je peux affirmer que les choses commencent mal. Je mets donc le film en pause afin de consulter la fiche technique et je constate que le duo de réalisateurs (Ariel Schulman et Henry Joost) est celui qui avait déjà signé Nerve, film “techno-cool” sorti en 2016 qui se croyait bien plus malin qu’il ne l’était en réalité. Et voir ce duo de réalisateurs (qui sont également responsables des Paranormal Activity 3 et 4) s’attaquer au genre usé jusqu’à la corde du film de super-héros a de quoi inquiéter. Et donc, inquiétudes méritées ?
Afin de mieux cerner ce film, il est intéressant de revenir sur le précédent fait d’armes des réalisateurs: Nerve. Ce dernier nous plonge dans un futur difficilement définissable dans lequel une application donne des “cap ou pas cap” de plus en plus dangereux à des jeunes en manque de visibilité et de sensations fortes. Si le point de départ laisse espérer que nos plus bas instincts vont être satisfaits, à la manière d’un Hypertension à l’ère numérique, il n’en est rien. Le film se mue peu à peu en romance fade entre la sympathique Emma Roberts et le bien moins sympathique Dave Franco, le tout sous néons et avec des envies de critiques sociales pour pas grand chose. Effectivement, le duo de réalisateurs avait visiblement très envie de dire des trucs et de balancer des machins, et le résultat donne un tout extrêmement indigeste, à cheval entre l’évidence d’un spot contre le harcèlement et la débilité d’un épisode de Elite. Entre les paris qui demandent de chanter dans un restaurant, et ceux qui veulent que l’héroïne essaie une robe, difficile de se satisfaire de quoi que ce soit, alors que le souvenir de Jason Statham mettant sa main dans un gaufrier en hurlant vient doucement chatouiller notre mémoire. Mais ce n’était pas le casting compliqué (on pense à Machine Gun Kelly, déjà présent dans l’affaire, et dans un rôle particulièrement horripilant) ou le manque d’audace qui ressortait le plus de Nerve, c’était la frustration et le manque clair d’éléments de narration.
En créant un univers dystopique dans lequel les néons ont remplacé les lumières traditionnelles, et où une application aussi importante existe, il est capital de poser un contexte. Sans aller jusqu’à détailler chaque élément, il est important que le spectateur comprenne les mécaniques du monde qui lui est présenté. Les exemples sont légion : Avatar, Star Wars, Starship Troopers… Autant de films qui, s’ils ne détaillent pas l’intégralité de leur univers en un seul film, présentent des éléments clairs et compréhensibles. Ici, le flou est total : qui sont les personnes qui gèrent cette application ? Comment la police ou les autorités peuvent ne pas être davantage impliquées ? D’où vient l’argent généré par l’application ? Qui en est le véritable gestionnaire ? Autant de questions qui nuisent à la compréhension, et donc à l’immersion du spectateur. Et cette narration bancale va de paire avec ce qui était évoqué plus haut : le fait que le cœur du film n’est pas du tout à l’endroit attendu.
Un futur dans lequel Stranger Things est devenu le nouveau Breaking Bad
Lorsqu’on présente un high-concept (idée de base accrocheuse et généralement résumable en une phrase), il est important de l’assumer, ou à minima d’en faire quelque chose qui soit suffisamment surprenant ou satisfaisant pour ne pas perdre son spectateur. Malheureusement, Nerve adopte une posture plus que tiède: le postulat de départ sert à assurer le marketing, et le cœur du film se révèle n’être qu’une romance fade et déjà vue, sur fond de reproches moralisateurs vains sur les réseaux et leur rapport aux jeunes. On ressort du visionnage avec un amer goût de frustration, tant le potentiel et l’univers prometteur sont sous-exploités.
C’est avec ce bagage que je découvre le film suivant de ce duo de réalisateurs: Project Power. L’intrigue prend place à la Nouvelle-Orléans, dans un futur plus ou moins proche encore une fois, où circule une nouvelle drogue donnant à celui qui l’ingère un super-pouvoir aléatoire (allant de la résistance surhumaine à l’implosion de l’individu) pendant 5 minutes. Sur cette base prometteuse, nous suivons les trajectoires d’un militaire (Jamie Foxx), un détective (Joseph Gordon-Levitt) et une jeune dealeuse (Dominique Fishback) qui vont s’associer tant bien que mal afin de retrouver l’origine de cette drogue.
Nous pouvons déjà nous réjouir d’une première chose: le film ne veut pas essayer une quelconque critique ou réflexion. Il se contente de dérouler une histoire sans chercher à se poser au-dessus de son spectateur, ce qui au contraire de Nerve laisse un léger goût amer en bouche. En effet, là où la critique pertinente des réseaux n’est pas chose aisée, celle du genre de super-héros est aujourd’hui bien plus simple, le genre portant sa propre parodie en lui depuis plusieurs années maintenant. Mais le reste est-il enfin à la hauteur de son point de départ ?
Les premières minutes sont prometteuses: MGK en torche humaine, un rythme soutenu… Mais très vite, le film se heurte à un problème similaire à Nerve : l’univers est absolument incompréhensible, et tout s’écroule d’un coup. Est-ce qu’un individu peut avoir plusieurs pouvoirs ? Comment le monde entier peut ne pas être au courant de ça ? Quel est le projet suite à la création de cette drogue ? Et encore une fois, le potentiel n’est pas pleinement exploité. Avec un concept pareil - “Qu’êtes-vous prêt à risquer pour 5 minutes de pouvoirs extraordinaires ?” - on pouvait s’attendre à une série B dynamique, ré-injectant un peu de vie dans un carcan mort depuis bientôt 10 ans. Mais comme dans Nerve, cette promesse si aguicheuse ne devient finalement qu’un accessoire dans une histoire toute autre. Et si ici on évite au moins la présence de Dave Franco en intérêt amoureux, on subit une enquête qui n’a absolument rien d’intéressant : trafiquants bizarres, personnages aux origines troubles, grand dur au cœur de pierre qui a perdu sa fille, policier un peu borderline… Toutes les cases sont cochées avec une paresse remarquable. Paresse qui se retrouve également dans la mise en scène du film, se contentant de simplement illustrer ce qui se passe dans le scénario. Pourtant, Project Power a le mérite de s’éloigner des grands discours moralisateurs maladroits. Netflix n’a pas lésiné sur le budget (qui s’élève à 85 millions de dollars environ) et quelques scènes de transformations (la scène de la torche humaine ou celle de la femme qui gèle petit à petit, de loin la meilleure) apportent une pointe de body-horror intéressante. Toutefois, ces rares éclairs d’originalité ne parviennent pas à compenser une histoire ultra-classique et l’éternelle frustration qui naît de ces projets; à titre d’exemple, sur 1h53 de métrage, les scènes de pouvoirs se comptent sur les doigts d’une main.
Après l'écoute de Mainstream Sellout
Et le film étant produit par Netflix, la comparaison peut se faire de façon évidente avec d’autres productions du N rouge : Day Shift, Bright… La forme de ces propositions est similaire : un univers prometteur sur le papier, une star au centre de l’affiche (Jamie Foxx, Will Smith…) et un résultat qui se résume finalement en quelques scènes marquantes pour beaucoup de remplissage (l’exemple évident étant la scène de Scott Adkins dans Day Shift). Sans aller jusqu’à faire un état des lieux complet et exhaustif sur l’état actuel de la série B (même s’il y aurait beaucoup à dire), il est difficile de ne pas s’interroger sur la place de ce type de film. Rien n’écorche véritablement l’œil, mais rien ne dépasse vraiment, rien n’est mémorable.
De loin la meilleure scène du film, 2 minutes à sauver