BLOODSHOT
Valiant, Vin Diesel et le cinéma

Comment parler de la carrière de Vin Diesel ? On pourrait évoquer ses tentatives filmiques réussies aux côtés d’auteurs passionnants (Sidney Lumet, Mathieu Kassovitz, Ang Lee). On pourrait également parler de ses multiples blockbusters aux résultats pour le moins éclectiques : la trilogie Riddick, plutôt une excellente surprise, ou l’abominable Le dernier chasseur de sorcières. Mais surtout, il est impossible de passer à côté de sa participation aux rouleaux compresseurs modernes que sont le MCU et Fast & Furious. Et avec l’approche de la fin de cette dernière saga (enfin!), Mark Sinclair Vincent de son vrai nom a besoin d’autre chose. Une nouvelle franchise, voire un nouvel univers, à envahir et cannibaliser de son aura de mâle alpha adulée par les fans de Corona et de barbecue. Et cette opportunité se présente en 2020, à l’issue d’un développement de plusieurs années, avec Bloodshot.
Né d’un deal entre Sony et Valiant Comics ayant pour but de produire 5 films au sein d’un même univers partagé (on sait qui remercier pour cette mode merveilleuse) et passé entre de multiples mains, Bloodshot est ce qu’on peut appeler un projet maudit. Détaillons cela en plusieurs points :
-
La mise en scène est d’abord confiée à Chad Stalhelski et David Leitch avant d'atterrir aux mains de David Wilson, directeur créatif du studio Blur. Si son CV peut donner envie à beaucoup de gamers (il a officié en tant que réalisateur de cinématiques sur des titres comme Mass Effect 2, PlanetSide 2, Star Wars: The Old Republic, Bioshock Infinite), son CV de réalisateur laisse à désirer : Avengers 2 en tant que directeur créatif et des épisodes de Secret Level, mais qui sont de grandes cinématiques donc on en revient au point précédent.
-
Le scénario a été confié à Jeff Wadlow, responsable (pénalement) de Action ou Vérité, Imaginary, Nightmare Island, Kick-Ass 2… On ne parle plus de carrière mais de casier judiciaire. Le tout est basé sur le comic éponyme de 1992, créé par Kevin VanHook, Don Perlin et Bob Layton. Rappelons qu’il s’agit d’un comics particulièrement violent et dur moralement, ce point aura son importance.
-
Le casting compte Vin Diesel (qui a pris le temps de faire ça entre son accusation d’agression sexuelle et son tournage d’arbre), Eiza Gonzalez (vue dans Ambulance, Baby Driver ou … Fast & Furious: Hobbs & Shaw), Guy Pearce (dont la carrière est aussi hasardeuse qu’un gatcha Pokémon, allant de Memento à The Seventh Day) et l'inénarrable Toby Kebbell, fossoyeur d’Hollywood comme on en rarement connu : Ben-Hur (2016), Fantastic Four (2015), Prince of Persia, Warcraft : Le Commencement, La Colère des Titans…
Et sur ce cimetière se dresse donc Bloodshot, sans honte ni pitié pour son spectateur. Sorti en mars 2020 et rapidement bazardé 3 jours plus tard en vidéo à la demande suite à la pandémie. Après un petit succès en ligne, le film termine sa course avec un box-office de 37,1 millions de dollars pour un budget de 45 millions de dollars, accompagné d’une destruction critique et publique en règle, enterrant de facto les projets de suites et d’univers, sans grande cérémonie.
Bloodshot suit l’histoire de Ray Garrison, soldat surpuissant, exceptionnel, beau et fort, mais qui reste sensible sous sa carapace de muscles (devinez qui tient le rôle ?). Après une mission réussie, il rentre chez lui avec l’espoir de couler des jours heureux avec sa femme. Mais les deux tourtereaux se font kidnapper, et abattre froidement par un certain Martin Axe. Ray est ensuite ressuscité par Rising Spirit Tech, une société spécialisée dans la cybernétique, laquelle le dote d’une force surhumaine et d’une capacité de régénération surpuissante. Entouré d’autres soldats modifiés, Ray commence à voir des images semblant être des résurgences d’un passé dont il ne se rappelle pas…
Comment définit-on un bon blockbuster ? Par ses pures qualités filmiques ? Par la qualité du temps passé devant ? Est-ce que Hypertension est un meilleur film que Iron Man ? Est-il réellement pertinent de comparer Pathaan, Creation of the Gods et Joker ? En tout cas, il est certain que toutes ces propositions, aussi différentes soient- elles, surpassent sans aucun mal cette abomination filmique qu’est Bloodshot. Il serait facile de critiquer la mise en scène fade, le scénario en retard de 30 ans, les personnages creux au possible… Mais il est plus intéressant de constater l’incapacité du film de choisir clairement un des deux choix qui s’offrait à lui de façon clairement évidente : embrasser le potentiel nanar inhérent à son interprète principal, ou devenir une série B ultra violente surfant sur la vague des films de super héros. Le début du film laisse espérer que la première option est celle choisie : opération militaire au Kenya réminiscente des pires Call of Duty, dialogues affligeants, clichés à la pelle… Ce début prometteur (?) trouve son acmé dans une scène de malaise absolument infernale lorsque Vin Diesel observe la pauvre Eiza Gonzalez faire des katas dans une piscine (oui oui…). Mais malheureusement, après cette imitation de Jean-Marc Morandini face à des garçons mineurs certes convaincante mais un peu limitée par le jeu de Vin Diesel, le film décide d’abandonner son potentiel de bêtise pour sauter à pieds joints dans la paresse et l’abandon. Et si l’espoir de voir ce héros immortel se faire découper, transpercer, massacrer et autres joyeusetés gorasses peut apparaître, il finit vite écrasé sous la masse amorphe et fatiguée de Vin Diesel.

Avec l'élégance et la finesse d'un conducteur de Dodge
Car oui, l’acteur est bien un des principaux problèmes de cette tentative de film. Tout tourne autour de lui et de son ego : personne ne blesse Vin Diesel (à l’exception d’une scène de fusillade grossière et pas vraiment mémorable dans un tunnel), les femmes aiment Vin Diesel (cf. La scène de la piscine susmentionnée) et il les aime en retour (avec ou sans consentement), Vin Diesel est évidemment surpuissant, quelles que soient les circonstances… Et c’est là que le bât blesse. Quand l’idée même de l’adaptation d’un comics faisant la part belle à la violence et aux effets gores impressionnants entre en conflit avec des studios frileux et une star capricieuse (il suffira d’une recherche internet pour vous en convaincre), le résultat ne peut que devenir un monstre filmique difforme et sans intérêt. Devant le désastre, il devient flagrant de constater à quel point la carrière de Vin Diesel porte les stigmates de sa paresse et de son manque de prises de risques. Entre les tentatives de blockbusters gênantes et les demi-franchises ratées (les cinéphiles de l’extrême pleurent encore régulièrement en pensant à l’apparition de la merveilleuse Deepika Padukone dans le bien moins merveilleux XxX: Reactivated), rien ne semble marcher pour la mascotte officieuse des bières Corona.
Et au milieu du visionnage, lors d’une poursuite évidemment mal filmée et dont le seul intérêt est de se rappeler que le premier film GI Joe n’était définitivement pas si nul, il peut arriver que l’esprit du spectateur gamberge et se perde aux côtés de multiples souvenirs infiniment plus agréables que ce tas fumant qui s’excite devant lui : Super, Hypertension… Que s’est-il passé ? Pourquoi est-il désormais tolérable que des films comme celui-ci, Jumanji: Welcome to the Jungle (90 millions de dollars de budget pour quasiment 1 milliard de recettes), Thor: Love and Thunder (250 millions de dollars de budget pour 760 millions de recettes) et consorts, des produits pas finis et méprisants envers leur public et leur médium de base, soient vus partout, voire validés ? Sans tomber dans la rhétorique stérile d’une exo nostalgie voulant que tout était mieux avant, il serait intéressant de se pencher sur ce que nous, spectateurs, nous acceptons et sur comment notre acte d’achat n’est pas juste un billet pour un film, mais une approbation encourageant, ou non, la production de certains films.

Aussi honnête et agréable que Call of Duty: Modern Warfare 3
​Il serait facile de se contenter d’énumérer les innombrables fautes de goût, la mise en scène insipide, le scénario éculé… Mais rien de tout cela ne rendrait justice à cette calamité numérique qui n’a aucun objectif autre que vous alléger de quelques euros et vous voler 1h49 de votre vie. En l’état, Bloodshot est même difficilement qualifiable de film. Il s’agit plus de l’excroissance monstrueuse d’un système moisi et fatigué, basé sur la consommation et la réaction instantanée plus que sur la qualité et l’audace, et qui permet l’avènement de monstruosité paresseuse et méprisante comme cette énorme merde. Que restera-t-il de Bloodshot ? Probablement pas grand chose. Mais il aura coûté 45 millions de dollars. 45 millions de dollars jetés à la poubelle pour le simple plaisir d’une star qui, par son simple ego, dévore le projet et le recrache en un dégueulis numérique flemmard et sans aucun intérêt. On partait d’un comics iconique, aux possibilités d’adaptation multiples, on n’obtient au final qu’une daube tiède, sans aucun intérêt autre que celui d’écrire ces quelques lignes. Trop insignifiant pour s’en moquer, trop inquiétant de par sa simple existence pour l’ignorer.
​
Critique par Corentin