top of page
THE HUNT
Allumettes, essence et chacun pour soi

Le 6 janvier 2021, le monde est sous le choc devant les images de l’attaque du Capitole par des partisans de Donald Trump, en contestation des résultats des élections américaines de 2020. Cet événement marque un tournant dans la politique américaine, soulignant un fossé désormais insurmontable entre les deux camps politiques qui se partagent le pays. Au-delà des constatations et des conséquences politiques et sociales évidentes, il apparaît désormais clairement que ce n’est plus un débat qui agite ce pays, mais une véritable guerre à la fois politique, culturelle, morale et humaine. Mais cette guerre ne se limite pas au pays de l’Oncle Sam, et il est très simple de s’en rendre compte. Rarement le climat n’a été aussi tendu en France: près d’une trentaine d’utilisations du 49.3 en 3 ans, la montée claire et extrêmement inquiétante des idéologies conservatrices (et fascistes), des manifestations constantes mais jamais écoutées… Chaque sujet de société devient un champ de bataille sur lequel on ne veut plus s’entendre, mais s’abattre. Ce conflit culturel et social est alimenté par les mêmes acteurs, nourris par l’angoisse et la colère qu’ils génèrent: chaînes d’informations en continu (notamment quand elles sont possédées par des milliardaires conservateurs et réactionnaires), réseaux sociaux (surtout quand ils sont possédés par ces mêmes milliardaires), émissions (encore une fois produites par les milliardaires en question)… Sur ce champ de mines permanent, où chacun pense se battre pour une cause juste ou pour un intérêt valable, où chaque dialogue devient tendu et où la fameuse question « On ne peut plus rien dire / faire » revient sans cesse pour justifier les comportements odieux de tout un chacun, deux personnes ont eu une idée de génie: tout brûler au napalm.
C’est en 2020 que sort The Hunt, réalisé par Craig Zobel (connu depuis pour avoir réalisé la série Mare of Easttown et avoir participé à la série The Penguin) et écrit par Damon Lindelof. Il s’agit d’une variation sur le thème de la chasse à l’Homme, avec toutefois la particularité des rôles situés de chaque côté du fusil. Du côté des bourreaux sanguinaires : des démocrates bourgeois enfermés dans leur manuel de vie progressiste, et du côté des victimes : des personnes (généralement issues des États ruraux américains) représentantes de tout ce qui ne va pas aux yeux des chasseurs (homophobe, braconnier, complotiste…).
L’intégralité du film et de son propos réside dans ce synopsis. Après une première demi-heure irrésistible de par son ironie mordante et sa violence récréative (le film ne lésine pas sur la viande à jeter sur les murs), The Hunt va se dévoiler petit à petit, s’attachant à révéler la véritable nature de chaque participant à ce jeu mortel : l'hypocrisie. Chacun est finalement méprisant et méprisable à sa manière ; et si le racisme et l’homophobie sont des ignominies évidentes, le mépris de classe et l’arrogance aveugle qui se transforme peu à peu en hystérie ne sont pas innocents pour autant. Chaque personnage du film devient une variation autour du thème de la bêtise : prétention, hypocrisie, préjugé… Cette mise en exergue de leur arrogance est mise en scène dans de nombreuses scènes aux dialogues souvent savoureux : la scène où l’un des chasseurs reste sous le choc en apprenant qu’une de ses victimes connaît et a compris La Ferme des Animaux de George Orwell, ou le merveilleux dialogue final dont on se gardera bien de dévoiler la teneur ici.

La tristesse du racisme et la joie de la grenade
Mais ces dialogues ne seraient pas les mêmes sans des interprètes solides pour les porter. Que ce soit Emma Roberts dans un rôle vif mais mémorable, en quelques minutes à peine elle parvient sans mal à proposer quelque chose d’infiniment plus amusant que Nerve, évoqué il y a quelques semaines dans la critique de Project Power ou Ethan Supplee dans un rôle de raciste dont la bêtise n’a d’égale que la satisfaction que son sort apporte au spectateur, chacun apporte une personnalité unique à son personnage. Et même si leurs personnages ne restent pas en vie longtemps (« C’est mon anniversaire », une des scènes les plus marquantes du film), ils parviennent sans mal à marquer le spectateur. Mais dans cette galerie de personnages hétéroclites, les deux noms qui ressortent le plus, que ce soit par le charisme ou par l’écriture, sont de loin Hilary Swank et (surtout) Betty Gilpin. La première est la représentation la plus littérale et absolue d’un progressisme aveugle, enfermé dans son monde bourgeois et déconnecté de celui qui l’entoure. Occupée à juger et mépriser les personnes autour d’elle, il suffit d’une fuite d’e-mails pour révéler toute son hypocrisie au monde et lui faire prendre les armes pour descendre dans ce qu’elle qualifierait de basse-cour pour venir massacrer ceux qu’elle tient pour responsables de sa chute. Et face à elle, Betty Gilpin, absolument impériale dans son rôle de victime au flegme à toute épreuve et à la rage méthodique. En ce sens, la scène du massacre dans le bunker des chasseurs est une illustration parfaite de ce phénomène : passant sans mal de la furie destructrice à une grimace légère mais irrésistible, elle s’impose avec évidence comme l’attraction principale de ce jeu de massacre. Au fil du récit qui avance, son personnage va, sans véritablement se dévoiler ou évoluer, peu à peu comprendre les mécanismes derrière ce jeu morbide. En la voyant se débarrasser en quelques instants de l’éternel monologue explicatif avec un mélange de lucidité et de grossièreté, ou aller se battre lors d’une confrontation finale aussi jouissive que drôle, il est difficile de nier qu’il y a un état de grâce, confinant par instant au génie dans le mélange d’écriture et d'interprétation qui est apporté au personnage.

Anger management
Comme évoqué dans l’introduction, le film sort dans un contexte mouvementé. Entre les théories du complot qui gagnent en popularité (QAnon est l’exemple le plus évident, mais il y a également des théories comme celle du Pizzagate, parodiée et renommée Manorgate dans le film), les tensions sociétales, le recul des politiques sociales…. À l’image d’un film comme Assassination Nation, The Hunt n’est pas une réflexion, c’est un cri. Un cri de colère et d’épuisement face à l’évolution du monde. En prenant la forme d’un film d’horreur, expulsant sa colère par les jets de sang et les corps déchiquetés, The Hunt accuse chaque spectateur. Chacun devient responsable de cette colère et la transmet. Il est intéressant de noter que le film a été reçu de façon extrêmement agressive par le camp Trump, l’accusant d’inciter à tuer les partisans républicains. Le candidat d’extrême-droite avait par ailleurs twitté « The movie coming out is made in order to inflame and cause chaos », ne nommant pas le film mais ne laissant que peu de doutes planer. Évidemment, le post ne manque pas d’ironie quand on réalise qu’on parle d’un homme (visé par 26 plaintes pour agression sexuelle, rappelons-le) reconnu coupable de l’attaque du Capitole, dont un des plus proches conseillers fait des saluts nazis en pleine cérémonie, dont le fils est au cœur d’un nombre d’affaires hallucinant, mélangeant complotisme, racisme, fraude, etc. Sans oublier sa récente déclaration, sommet d’indécence et d’ignominie sur la situation à Gaza, évidemment accompagné par un dirigeant sous mandat d’arrêt pour crimes de guerre et crimes contre l’Humanité depuis novembre 2024. Devant de telles absurdités, la proposition agressive et ironique de The Hunt, transformant ce gigantesque cirque en terrain de chasse jouissif et cinglant, devient le meilleur exutoire possible. Peut-être vaut-il mieux s’accorder une pause et rire de tout cela, avant de se replonger dans l’ambiance sordide du monde actuel.

Il paraît qu'il donne son cœur
Au final, The Hunt n’est probablement pas le film le plus intelligent ou pertinent qui soit. Sa posture est probablement celle d’un film de petit malin qui pense plus à l’impact qu’il va provoquer sur son spectateur plutôt qu’à une quelconque pertinence. Mais il capte quelque chose: la sensation de ras-le-bol. Une colère générale, dirigée contre chaque personne qui se cache derrière des principes factices pour justifier son comportement minable, chaque personne qui détruit la vie des autres sans se remettre en question, chaque personne qui rejette ce qui diffère… En rejetant la finesse, le film embrasse le chaos. Un chaos réjouissant, méchant et cathartique. Et à l’heure où les saluts nazis remplacent les signes de la main, un film comme celui-ci fait du bien, et c’est déjà pas mal.
Critique par Corentin
bottom of page