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Rétrospective trilogie Annabelle

Le cinéma d’horreur « mainstream » des années 2000 aura été marquées par les sorties consécutives de Massacre à la tronçonneuse (2003) et Saw (2004), ouvrant ainsi la porte à une horreur plus sale, plus violente et plus méchante que ce que nous avions pu voir jusque-là. Ce genre s’étant essoufflé aussi vite qu’il est apparu, les années 2010 ont, à leur tour, cherché une figure de proue horrifique, un film qui allait marquer son public comme Saw en son temps. Et c’est en 2013 que ce film sort avec Conjuring : les dossiers Warren. Réalisé par James Wan et offrant un véritable tour de force horrifique, jouant avec habileté sur les codes du film de maison hantée pour proposer une expérience à la fois ludique et terrifiante.

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Avant même la sortie de Conjuring premier du nom, des rumeurs insistantes se faisaient entendre quant au développement d’un deuxième film, à la suite des retours très positifs sur le premier lors des premières projections. Et après le succès retentissant du premier film (plus de 320 millions de dollars pour un budget de 20 millions de dollars, ainsi qu’une reconnaissance critique saluant la mise en scène de celui-ci), Warner Bros a voulu capitaliser sur l’engouement naissant autour de cet univers horrifique et s’est empressé de lancer la production d’un spin-off de Conjuring avec le film Annabelle, sorti en 2014. Et ce spin-off n’en restera pas là, puisqu’il aura donné lieu à une trilogie. Mais sans James Wan à la réalisation, reste-t-il quelque chose à se mettre sous la dent en matière horrifique ?

Affiche du premier Annabelle, très explicite quant au sujet du film que l’on va voir : La poupée, la poupée, la poupée…

ANNABELLE (2014)

En août 2014, moins d’un an après Conjuring : les dossiers Warren, le public français peut ainsi découvrir sur ses écrans Annabelle. Centré autour de la terrifiante poupée que l’on pouvait apercevoir dans Conjuring, et censé narrer les origines de celles-ci. La première interrogation que l’on peut être en droit de se poser est lorsque l’on se penche sur la fiche technique du film.

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Tout d’abord, la réalisation n’est plus assurée par James Wan, mais par John R. Leonetti, directeur de la photographie compétent ayant travaillé à plusieurs reprises avec James Wan (Conjuring, Insidious 1,2 & 3, The Woods), mais réalisateur ayant prouvé à plusieurs reprises son incompétence totale derrière la caméra (Mortal Kombat : Destruction Finale, L’Effet Papillon 2, I Wish : faites un Vœu…).

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On peut également remarquer que Leonetti n’assure pas la photo du film, et la confie à un dénommé James Kniest, responsable du très sympathique Hush De Mike Flanagan ou des horribles The Bye Bye Man et Within.

 

Rien qu’en se basant sur ces premiers indices, on peut sans difficulté deviner qu’on ne va pas se retrouver face à une œuvre qui va redéfinir le cinéma d’horreur. Et le film va faire de son mieux pour nous le rappeler pendant ses 1h39.

Il est possible de reprocher à James Wan une approche très « roller-coaster » du genre, surtout depuis les années 2010 ; faisant preuve d’un savoir-faire évident mais le mettant au service de multiples jumpscares et d’une structure en dents de scie contribuant à l’aspect « montagnes russes horrifiques » évoqué plus haut.

 

Ici, le film veut évidemment se rapprocher de cette formule mais n’en arrive jamais à la cheville, et nous allons détailler pourquoi.

Tout d’abord, le scénario. Cela peut sembler évident mais il est de mon devoir de signaler à quel point il est écrit avec une paresse et un manque d’ambition ahurissant.

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Nous suivons l’histoire de Mia et John, couple vivant dans les années 70 et qui, après avoir subi une attaque d’un groupe de jeunes appartenant à une secte satanique, devient la proie d’apparitions étranges et « effrayantes ». Et nous pouvons déjà relever la première malhonnêteté du scénario : nous sommes censés suivre les origines de la poupée Annabelle, mais nous n’assistons en fait qu’à une de ses exactions.

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En partant de ce principe, nous pouvons donc enlever tout l’intérêt que nous pouvions avoir autour de l’univers du film (ce que le Conjuring-verse va s’appliquer à faire après avec des films comme La Dame Blanche ou Annabelle 3, auquel nous reviendrons plus bas).

Je te garde ou je te garde pas… ?

Allez, tu me fais peur et tu me rappelles un évènement traumatisant, je te garde !

Le deuxième problème évident de son écriture est la caractérisation de personnage. Les personnages du premier Conjuring n’étaient certes pas des modèles d’écriture mais parvenaient à être suffisamment développés pour permettre un minimum d’empathie nécessaire à toute implication émotionnelle, et donc à la peur. Dans Annabelle, l’exemple qui illustre le plus l’écriture aux fraises du film est connu : le personnage principal (interprété par Annabelle Wallis) veut à tout prix se débarrasser de la poupée (qui était au centre de l’attaque qu’elle a vécu au début du film) ; puis, après que la poupée soit revenu en leur possession pour une raison inexplicable, décide de la garder pour une raison toute aussi inexplicable.

Agrougrou

Et tout le film est construit de cette façon, chaque décision semble être guidée par des ficelles énormes et vraiment gênantes quand on y réfléchit (on peut mentionner la voisine qui se sacrifie pour une famille qu’elle connaît depuis quelques mois maximum ?).

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Mais alors peut-être que le film va se rattraper par son ambiance et sa mise en scène ? Malheureusement, si l’aspect écriture était faible, celui-ci est inexistant. Et en premier lieu, il est important de signaler le plus gros aveu d’échec du film : sa poupée. En effet, le film va user et abuser de cette poupée pour tenter de faire peur, c’est-à-dire que son moteur horrifique principal (et unique) ne vient pas de lui, mais d’un autre film…

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Et le film nous présente bien un démon mais son manque criant d’originalité et d’iconisation ne réussit pas grand-chose, excepté faire rire.

Et c’est donc sur 1h39 que le film va persévérer dans son manque d’imagination, ne devenant finalement qu’un produit un peu bruyant. Symbole capitalisant sur ses franchises pour en faire des dérivés sans grand intérêt.

 

Alors, au final, Annabelle 1 c’est quoi ? Un échec artistique total, premier spin-of inutile d’une franchise qui a fonctionné, et qui épuise déjà tous ses codes en démontrant une absence d’inventivité et surtout d’envie de proposer une expérience un tant soit peu ludique. Mais surtout, c’est plus de 257 millions de dollars au box-office (pour un budget de 6,5 millions de dollars), signe que ce genre de film rapporte, que le public répond présent, et qu’il y a donc une porte ouverte pour une suite.

ANNABELLE 2 : LA CREATION DU MAL (2017)

Et c’est 3 ans plus tard que la suite arrive sur nos écrans, avec cette fois-ci l’annonce qu’il s’agit d’un vrai préquel, les véritables origines de la fameuse poupée.

 

A la barre, on ne retrouve plus Leonetti (tant mieux au final), mais David F. Sandberg, réalisateur suédois auquel j’ai cru pendant 10 secondes après avoir vu son film Lights Out (adapté de son sympathique court-métrage trouvable sur YouTube) avant de rapidement déchanter en voyant l’abominable Shazam.

 

On change également l’équipe derrière le film puisque la photo est assurée par le belge Maxime Alexandre, chef-opérateur récurrent de Alexandre Aja (sur Crawl, La Colline a des yeux ou encore Oxygène) et la musique est assurée par Benjamin Wallfisch, qui avait composé la musique de Lights Out et qui avait surtout travaillé sur les excellentes compositions de Blade Runner 2049 et Invisible Man.

Préquel cette fois ? Pas préquel ?

On ne garde que Gary Dauberman, déjà à l’œuvre sur le scénario du premier opus, qui ici va proposer l’histoire d’un groupe de jeunes orphelines qui se retrouvent à habiter dans la maison d’un ancien fabricant de poupée et de sa femme après que leur orphelinat ai brûlé. Mais les jeunes orphelines réalisent peu à peu que le couple cache peut-être un secret étrange. Et contre toute attente, ce film est peut-être le meilleur de sa trilogie.

Les nouvelles victimes d'Annabelle, un groupe de jeunes orphelines un peu trop curieuses

Sandberg, s’il n’est certes pas un metteur en scène de génie, semble ici mieux cerner l’approche qu’avait James Wan, misant tout sur l’efficacité pure.

 

Ainsi les scènes de tension sont plus travaillées, et si certaines sont clairement recyclées (une silhouette en fond, le placard qui s’ouvre…), on ne peut nier une certaine efficacité et une claire amélioration par rapport à l’original. D’autant que même sur l’écriture, le film semble avoir progressé.

 

Choisissant de mettre en avant ce groupe d’orpheline et de les couper de toute forme d’aide extérieure en prenant comme cadre cette ferme isolée, en 1946, il permet ainsi un meilleur attachement émotionnel à ses personnages.

Et on va suivre les péripéties de ses personnages de façon vraiment agréable, enchaînant scènes de tensions parfois faciles mais toujours efficaces (les scènes dans la chambre de la fille du couple, la scène dans la grange…), personnellement je ne peux pas nier avoir pris un réel plaisir devant certaines scènes, surtout par rapport au précédent film.

Le scénario réserve également quelques surprises, notamment autour du couple propriétaire de la maison. Nous découvrons donc que le couple a vu sa fille mourir plus jeune, et qu’ils ont souhaité de tout cœur la voir revenir et pouvoir lui parler à nouveau, ce qui a invoqué un démon prenant l’apparence de leur fille.

 

Si l’originalité n’est pas ce qui déborde, la scène ne fonctionne pas si mal, parvenant même à être presque touchante. Malheureusement, cette scène est suivie juste après de l’élément le plus bête du film : « on voulait se repentir d’avoir amené un démon et qu’il soit enfermé chez nous, alors on accueille des orphelins ».

 

Et en effet, malgré le bien que l’on peut en dire, Annabelle : les origines du mal n’échappe pas à certains problèmes vraiment gênants lors du visionnage. Tout d’abord, les personnages. 

Le retour de Monsieur Tête-à-cornes, ici bien mieux servi

Si leur statut d’orpheline facilite une empathie de la part du spectateur, certaines de leurs décisions sont tellement nonsensiques que l’on finit par décrocher au bout d’un moment :

Pourquoi ce personnage reste-t-il à cet endroit-là ?

Pourquoi décider de rester malgré un danger évident ?

Pourquoi ne pas se défendre ?

Autant de questions sans réponse, ou alors éludée par le film lui-même (ce qui est peut-être pire ?).

« Tiens, je vais m’aventurer seule, de nuit, afin de me débarrasser de cet objet effrayant et potentiellement dangereux »

Et sur la mise en scène, le recyclage était évoqué plus haut, mais il est impossible de ne pas ressentir un certain déjà-vu par moment.

 

Malgré l’indéniable efficacité du métrage, nous sommes en droit de nous poser la question « qu’est-ce qu’il apporte ? ». Je m’explique : Conjuring a rafraîchi les codes du film de maison hantée, allant dans l’efficacité pure et offrant un véritable tour de train fantôme (à la manière d’Insidious quelques années plus tôt). Et Annabelle 2 ne fait que réchauffer ce que nous avons déjà vu plus tôt.

 

Certes il le fait de façon correcte et presque pertinente par moment, mais il manque une étincelle, un truc en plus qui permet au film de décoller, et de ne pas être une simple copie d’un modèle original ayant déjà fait ses preuves.

Néanmoins, il est clair que ce deuxième opus est, et de loin, le meilleur de sa trilogie.

Jonglant entre recyclage total et innovation légère mais efficace, le résultat est un sympathique produit horrifique, sans grande ambition autre qu’offrir un tour de train fantôme.

Parvenant sans mal à donner une petite dose de frayeur pour peu que l’on soit bon public.

Alors certes ça reste une proposition un peu faible, mais suffisamment honnête pour rester relativement agréable à regarder.

Et vu le succès du film (plus de 300 millions de dollars de recette pour un budget de 15 millions), il était évident qu’une suite verrait, encore le jour…

Elle veut ton âme ... encore ...

ANNABELLE - LA MAISON
DU MAL (2019)

Les aventures de Scooby-Doo présentent : Annabelle

Et ce qui devait arriver arriva, 2 ans plus tard, New Line sort le troisième (et dernier au moment où ces lignes sont écrites) opus de la trilogie avec Annabelle : La Maison du mal (ou Annabelle Comes home en VO).

 

Et cette fois-ci la caméra est confiée à…Gary Dauberman ? Scénariste des 2 premiers opus… Il se charge également du scénario, sur lequel il est épaulé par James Wan.

Joseph Bishara (à qui nous devions la très efficace musique de Insidious) assure la composition pour le film ; et la photo est assurée par Michael Burgees, que nous avons pu voir sur … Conjuring 3 et la Dame Blanche…Aïe.

Du côté du casting, le film se passant cette fois-ci contemporainement aux 2 Conjuring, on retrouve avec plaisir Vera Farmiga et Patrick Wilson dans le rôle des époux Warren ; ainsi que la talentueuse McKenna Grace dans le rôle de Judy, la fille du couple.

 

Et la palme des personnages idiots est probablement remporté par ce film qui nous raconte donc la lutte d’un groupe de jeunes personnages dans la maison des Warren, après que l’un d’eux ait ouvert la vitrine dans laquelle était conservée Annabelle afin de potentiellement parler avec son père décédé.

On ne relèvera pas la ressemblance assez…gênante avec le point de départ du 2, et on va plutôt se tourner sur la principale référence du film : Scooby-Doo.

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Le film ne nous sort non pas un, non pas deux, mais bien trois démons contre lesquels les protagonistes vont se retrouver à lutter. Et on va ainsi se retrouver confronté à une farandole de fantômes moches, parfois efficaces, souvent inutiles.

 

Et on ne peut s’empêcher de penser aux aventures du chien détective tant cette volonté de surenchère dans le grotesque en devient limite comique par moment.

Le ferryman, un des 3 antagonistes du film

La mariée, autre démon du film qui n'est pas sans rappeler l'antagoniste de Insidious 2

Le Samouraï, troisième antagoniste, pas le plus menaçant

Se contentant d’enchaîner les scènes avec les différents antagonistes (même s’il faut admettre que l’un d’eux, le « ferryman » est plutôt sympathique) sans chercher de sens global, pour en conclusion avoir une résolution expédiée et une réaction des Warren (« Ah…Tout va bien maintenant t’inquiète ! ») faisant d’eux des parents beaucoup trop gentils au mieux, et totalement inconscients au pire.

 

Et durant l’intégralité des 1h46 du film on ne cesse de se demande « pourquoi ? ».

Pourquoi déballer maintenant autant de monstres ?

Pourquoi cette accumulation d’horreurs et de puissances surnaturelles se concentre uniquement sur cette maison en particulier ?

Pourquoi il n’y a que 3 démons libérés dans une pièce qui est censée être remplie de ça ?

Et pourquoi ce film est aussi idiot ?

 

Et ce n’est pas la mise en scène qui va rattraper la bêtise du script. Dauberman ne recycle visiblement pas que ses histoires, mais aussi ses « idées » de mise en scène.

En 2019 le Conjuring-verse s’est bien développé : Annabelle 1 & 2, Conjuring 1 & 2, La Malédiction de la Dame Blanche, La Nonne…

"Mmmmhhh, j'ai bien envie de te délivrer, objet dangereux potentiellement mortel"

Et c’est comme ça qu’on se retrouve avec pleins d’idées de scènes empruntées çà et là.

Le film perd donc toute efficacité et le spectateur se retrouve impuissant, partagé entre le rire et l’envie de questionner tant de choses devant cette créature de Frankenstein filmique, empilement de resucée d’autres films, de bêtises scénaristiques et de choix hasardeux tant dans sa réalisation que dans sa façon d’approcher le métrage.

On peut se demander s’il est pire que le 1 ? Je pense personnellement que non.

Tout d’abord parce que si le recyclage est gênant pour les scènes horrifiques, certaines peuvent éventuellement donner un sursaut (celle avec le ferryman notamment).

Ensuite parce que le casting (McKenna Grace en tête) est éminemment sympathique, et ce même si leurs personnages sont affreusement écrits.

Annabelle 3 est donc un film profondément bête, vain dans ses efforts d’instaure la moindre angoisse et de faire peur, totalement inutile dans son existence même puisqu’il se situe entre deux films Conjuring et n’apporte rien à l’histoire globale (excepté un potentiel sujet de discussion au réveillon de Noël des Warren a en juger par leur réaction).

 

Néanmoins son visionnage peut s’avérer plus agréable que le premier, tant sa capacité à reprendre des idées d’autres films s’avère grande. Et là où les deux premiers films n’avaient déjà pas peur du grotesque, faisant souvent appel à des personnes qui lévitent, des portes qui claquent dans tous les sens…

Celui-ci embrasse pleinement cette imagerie pour le meilleur et pour le pire (surtout le pire en fait), sombrant quasiment dans le ridicule à plusieurs moments. Une fin à la hauteur de sa saga donc ?

CONCLUSION

La trilogie Annabelle aura indéniablement marqué son époque.

Marqué par cette façon de capitaliser sur un élément marquant d’une franchise qui fonctionne pour l’essorer, en tirer le plus de profit possible, et par cette envie de créer purement mercantile. Si le deuxième opus surnage, c’est par rapport au reste et on est loin de films qui peuvent marquer le cinéma, ou le spectateur. 

Je pense que ce qu’il manque à cette saga, c’est avant tout de l’honnêteté. Il est difficile de distinguer la moindre envie de proposer un film un tant soit peu original dans ce marasme fantomatique.

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Vivant en marge de la saga qui l’a vu naître, mais n’arrivant jamais à la cheville de cette dernière (même si cette dernière aura également fini par sombrer avec l’horrible Conjuring 3, devenant également un musée des horreurs et étant également très étrange sur son positionnement vis-à-vis de sa soi-disant « histoire vraie » …).

 

Mais l’hégémonie de ce cinéma d’horreur de consommation courante aura également des conséquences, à commencer par une domination sans partage sur la présence en salle.

A l’heure où de plus en plus de films sortent, et où de plus en plus d’œuvres se retrouvent sur les plateformes, faute de pouvoir finir en salle ; il est triste de voir que c’est ce type de produit qui domine. Des films sans âme, sans grand intérêt, n’existant qu’en tant que produit de consommation site au succès d’un film bien meilleur, tout en étant incapable de rebondir et de réinventer ou même de proposer quelque chose un tant soit peu inventif. A oublier, définitivement.

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