BOY KILLS WORLD
Level Up

Les jeux vidéos et le cinéma, deux arts dont le dialogue est bien souvent compliqué, tant le traitement du premier par le second fût longtemps désastreux. Entre adaptations sinistres, codes mal digérés et surtout Uwe Boll, traumatisme collectif rapidement érigé en étendard du pire, affirmer que le jeu vidéo a la vie dure à Hollywood est un euphémisme. Et pourtant, au milieu de ce cimetière indien filmique, quelques spectres subsistent. Se manifestant dans des œuvres qui, sans adapter directement une licence vidéoludique, parviennent à intégrer intelligemment des éléments constitutifs du médium - grammaire visuelles, rythme, gestion de l’action… - pour les remodeler en un langage purement cinématographique. On peut penser à John Wick 4 et sa scène en top-shot, Old Boy et le fameux couloir, ou d’autres propositions plus imparfaites mais non moins méritantes comme Guns Akimbo ou Boss Level. En assumant pleinement à la fois leur médium d’inspiration et leur exercice de style cinématographique, ces films parviennent à devenir des adaptations officieuses d’un certain esprit vidéoludique. Alors, quand le 23 février 2024, sort la première bande-annonce de Boy Kills World - présentant une dystopie comme on en a déjà vu des centaines, sur un fond de voix off omniprésente, et réalisé par un illustre inconnu - la crainte de tomber sur un énième film pseudo-fun faussement cool était bien présente. Demeurait malgré tout quelques lueurs d’espoir: la présence rassurante de Sam Raimi à la production, et celle de Yayan Ruhian (monumental Mad Dog de The Raid, aperçu également dans Wira, chroniqué sur le site) devant la caméra. Finalement, le résultat est-il plus proche de Devil May Cry 5 ou de Fighting Force ?

Longue journée ?
Affirmer que ce film ne partait pas vainqueur est une évidence, surtout lorsqu’on se rappelle de l’autre film de vengeance dans lequel Bill Skarsgard tenait le rôle principal: le sinistre et tragique (dans le mauvais sens) The Crow. Mais ici, fini les cosplay façon My Chemical Romance, et bienvenue à Boy, héros muet dont la famille s’est fait tuer lorsqu’il était enfant par une grande méchante sadique (trop rare Famke Janssen), et qui veut donc se venger. Si l’histoire paraît extrêmement classique (elle l’est, évidemment), le fait de suivre celle-ci à travers le personnage de Boy, sorte de machine à tuer muette, dont l’immaturité n’a d’égal que la létalité, et accompagné de sa fameuse “voix dans sa tête”, permet à la narration d’assumer son artificialité et sa bêtise. Cette décision, si elle permet évidemment de camoufler toutes les faiblesses narratives et scénaristiques du métrage, peut sonner comme un parti-pris narratif; ou comme un aveu d’échec tant elle semble arrangeante par moment, notamment quand il s’agit de détailler ou d’expliquer l’univers du film. Toutefois, force est de constater que cette simplicité (débilité ?) narrative fonctionne à plusieurs moments, notamment lorsque la voix off, basée sur un jeu vidéo auquel jouait le héros lorsqu'il était plus jeune, tente de résumer le plan de “La Résistance” ou lorsqu’elle effectue quelques références bien placées (Fatality!). Le résultat final est un joyeux bazar narratif, pétri de bonnes idées et de défauts absurdes, mais qui ne manque finalement pas de charme. Et si la longueur du film apparaît comme un défaut évident, notamment à cause d’un twist ne faisant que prolonger artificiellement sa durée de vie, celle-ci est amplement compensée par la générosité de plusieurs séquences, aussi réjouissantes qu’imparfaites, surtout quand elles impliquent certains ustensiles de cuisine.

Appuyer sur "A" pour tirer
La raison principale qui pousse à aller voir le film peut se résumer en une phrase: Bill Skarsgard qui éclate des centaines de types à mains nues, voir torse nu, et si possible de la façon la plus gore et amusante possible. Sur ces bastons en question, Moritz Mohr (le réalisateur) va aller chercher un style d’action hybride, au croisement de plusieurs pays et envies: l’Indonésie et son ultra-violence, la Chine et sa science millimétrée du découpage, les Etats-Unis et ses plans longs, héritiers directs des John Wick et leur envie de revenir à un cinéma d’action plus “artisanal”. Et si le mélange de toutes ces influences ne prend pas toujours, la faute à un mélange pas toujours homogène, alternant entre le ridicule et le prodigieux, le grotesque et le génie, le carnage est toujours accompagné de mouvements de caméras, d’effets de montage ou d’envies de mise en scène pas toujours bien maîtrisées, mais bien trop amusantes et distrayantes (souvent par leur propre puérilité - la mort d’un des méchants principaux du film) pour bouder son plaisir devant le résultat. Chaque baston devient ainsi pour Skarsgard l’occasion de faire montre de ses talents d’acteurs évidents. S’il a d’abord été connu pour son rôle de Grippe-Sou dans le diptyque Ça, l’acteur continue sa mutation en grizzly tueur après sa scènes de massacre de The Crow, on arrive au stade où il ne manque que les poils. Mais contrairement à l’ambiance faussement sombre et torturée de son aîné fan de Type-O-Negative, Boy Kills World et son ambiance bien plus décalée et second degré conviennent bien mieux à l’interprète. Ce dernier peut ici déployer la pleine mesure de son talent, notamment sa gestuelle surexpressive et son regard (trans)perçant, prêtant son corps à ce rôle de grand enfant candide et fragile transformé en machine à tuer sanguinaire et ultra-violente presque “malgré lui”. Cette conjugaison d’éléments permet au personnage principal d’exister, en évitant de tomber (trop) dans les redites d’éléments déjà vus ailleurs des centaines de fois.

Grippe-Sou si Georgie n’avait pas voulu récupérer son bateau
Le reste du casting n’est pas en reste puisque aux côtés de Famke Janssen, il est possible de croiser une multitude de sous-boss (terme utilisé à escient) particulièrement amusants: Jessica Rothe (vue dans l’excellent Happy Birthdead) en tueuse équipée de haches et d’un “casque-emoji” (?) ; Sharlto Copley dans le rôle de Sharlto Copley, cette fois-ci avec un costume ; Andrew Koji dans un rôle de sidekick (même si celui-ci ne rend pas hommage aux capacités martiales et physiques de l’acteur - allez voir n’importe quelle scène de la série Warrior pour vous en convaincre)... Et évidemment: Yayan Ruhian. Enfin sorti de son rôle de figuration dans Star Wars 7, on le retrouve ici dans un rôle à la pleine mesure de ses capacités physiques et martiales. Tel un animal en furie, il offre plusieurs moments de bravoure, notamment un affrontement dont la brutalité et la hargne rappellent les meilleurs souvenirs de l’affrontement final de The Raid (et son néon…), définitivement l’un des points forts du film.
Mais le prisme selon lequel Boy Kills World devient le plus intéressant est celui de ses inspirations vidéoludiques évidentes. Découpage en “niveaux”, environnements contrastés, progression mécanique (notamment par la récupération d’améliorations par le héros, comme cette merveilleuse paire de “pisto-poings” vers le deuxième tiers), combats de boss… Toute la structure narrative épouse entièrement la logique d’une narration de jeux vidéo, transformant les différentes épreuves du héros en autant de niveaux à franchir, chacun avec ses ennemis, ses variations… Certains passages correspondront plus à des niveaux “classiques”, comme la scène du massacre télévisé dans laquelle Boy va se charger de massacrer une bonne vingtaine de personnages déguisés en mascotte d’une marque de céréales (une des nombreuses idées mi-géniales mi-ridicules du film); là où d’autres seront des combats de boss bien plus directs (l’épilogue). La mise en scène va également rejoindre cette logique, devenant une transposition de séquences de gameplay réminiscentes de Devil May Cry, sans les démons. Chaque coup porté, illustré par ses effets de caméra fluides et sans temps mort, devient le reflet de séquences dont la grammaire visuelle et rythmique rappelle sans cesse le jeu vidéo: QTE, objets ramassables (poêle, couteau…râpe à fromage), barres de vie implicites (les boss et leur capacité à encaisser beaucoup plus de coups que les simples soldats), chaînes de combo du héros... Même la voix off, omniprésente, agit comme un HUD narratif détourné, guidant le personnage (et donc le spectateur) à travers l’univers du film. Ces éléments combinés font que Boy Kills World évite de tomber dans la reproduction servile : il digère ces codes vidéoludiques pour en extraire une énergie cinétique et un mode de narration certes brouillons, mais bien souvent extrêmement percutant et réjouissant. En étant conscient de ses influences, il parvient à les remodeler au service de son propre univers et de ses propres envies. Parfait ? Non. Amusant ? Assurément.

Une fois équipé, on peut y aller
Finalement, Boy Kills World s’approche beaucoup plus d’un Hypertension que d’un John Wick. Si le film de Neveldine & Taylor est devenu la meilleure adaptation officieuse possible de la licence Grand Theft Auto, celui de Mohr devient la meilleure adaptation possible de Double Dragon ou Streets of Rage. En refusant la sophistication narrative au profit du rythme, de l’impact et de l’énergie, Moritz Mohr signe un objet hybride. Un film inégal, parfois bancal, souvent excessif, mais qui déborde d’une sincérité jubilatoire. Sans révolutionner le cinéma d’action, il parvient à en capturer une forme d’immédiateté et de frénésie que peu de productions osent revendiquer. Tirant sa propre identité de codes habilement digérés, il s’inscrit sans mal dans le haut du panier des comédies d’action bourrines et récréatives. Un véritable petit trip récréatif, à consommer sans modération, et de toute façon ce sera toujours bien meilleur que Ultimate Game.
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Critique par Corentin

