UNTIL DAWN
Maison hantée ou monde de poupées ?

Qu'obtient-on en mélangeant court-métrage basé sur un jumpscare, le cimetière indien filmique qu’est le DC Universe et un Youtubeur ? On obtient David F. Sandberg. Révélé au grand public grâce à Lights Out, court-métrage aussi efficace que limité, il réalise une version longue 3 ans plus tard, transformant la poudre aux yeux initiale en un bel écran de fumée. Après cette feinte habile dans le paysage horrifique, il réalise Annabelle: La Création du Mal. Sans être un chef-d’œuvre, il s’agit très probablement de son meilleur film, oscillant entre recyclage et malice dans l’application des codes posés quelques films plus tôt par James Wan. Mais la chute est d’autant plus brutale quand, après cette agréable surprise, le film Shazam arrive, redéfinissant à lui seul le concept de médiocrité. Devenant rapidement un des symboles les plus absolus de la déchéance du blockbuster super-héroïque - avant que The Flash ne devienne son stade terminal. Plus rien ne va devant cette ignominie filmique qui ferait passer Elektra pour un chef-d’œuvre, Spawn pour un bon film et Guardians pour un bon souvenir. Et contre toute attente, le film fonctionne: plus de 350 millions de dollars au box-office pour un budget à 100 millions de dollars, et un 93% sur Rotten Tomatoes qu’on qualifiera d’énigmatique, par politesse. Mais le pire était encore à venir. 4 ans plus tard sort Shazam: La rage des dieux, point de non-retour d’un cinéma de super-héros américain en mort cérébrale. Mené par un Zachary Levi dont la finesse des propos sur les vaccins et la politique avait entre-temps marqué les esprits, le film devient un calvaire absolu. Si Shazam était difficile à endurer, sa suite relève du supplice, véritable test d’endurance mentale pour le spectateur, qui finit noyé sous les immondices visuelles et narratives de ce marasme. La seule évidence à exprimer face à ce naufrage ? La tristesse, tout simplement. Après ce désastre qui aurait suffi à achever n’importe quelle carrière, Sandberg décide de revenir à ses premiers amours horrifiques. Parallèlement, Sony cherche - entre deux tentatives de massacre de l’univers autour de Spider-Man - à rentabiliser ses licences vidéoludiques sur grand écran. En janvier 2024, le projet est officialisé: Until Dawn, basé sur le jeu vidéo développé par Supermassive Games, va voir le jour. Le scénario est confié à Gary Dauberman (qui est derrière plusieurs films de l’univers Conjuring et qui a réalisé Annabelle 3) et la production est partagée entre Playstation Productions, Screen Gems et Lotta Losten, société de production appartenant à Sandberg lui-même. Est-ce qu’une adaptation d’un des phénomènes horrifiques les plus marquants du paysage vidéoludique peut permettre au réalisateur de retrouver son mojo ?

Encore dégouté par la mort d'Ashley
Après avoir travaillé sur plusieurs jeux Playstation 3, c’est en 2015 que Supermassive Games va véritablement se faire connaître sur la scène internationale avec Until Dawn. Véritable succès surprise (3 millions de copies écoulées en 2019), le jeu devient rapidement un classique du genre, dont la mise en scène et le système de jeu basé sur les choix ont été très largement salués. Avec son point de départ suivant 8 personnages (dont un jeune Rami Malek) dans un chalet isolé à la montagne qui se retrouvent confrontés à un tueur mystérieux, le jeu se place dans l’héritage direct des slashers des années 80, Vendredi 13 en tête. Mais avec son système de choix et sa rejouabilité, Until Dawn se révèle bien plus fin qu’il n’y paraît, s’approchant de La Cabane dans les Bois par la façon dont il comprend et détourne les codes horrifiques connus. Mais là où le jeu devient un objet passionnant vis-à-vis du genre horrifique, c’est par sa façon d’intégrer cette capacité à prendre les bons ou les mauvais choix directement dans son gameplay. Le joueur est libre de modeler les relations et destins de chaque personnage, débouchant sur plusieurs dizaines de fins possibles. Il est également important de remarquer que le jeu ne se limite pas à la menace représentée par le tueur, mais ajoute également plusieurs éléments fantastiques, notamment la présence des wendigos dans son dernier acte. Derrière cette apparente simplicité dans le gameplay (QTE, séquences d’exploration, choix…), le jeu est en vérité bien plus dense qu’il n’y paraît. En intégrant plusieurs éléments comme des objets trouvables révélant des issues possibles à certaines situations, ou des passages au cours desquels n’importe quel personnage peut mourir par surprise en peu de temps, le jeu devient un véritable parc d’attraction horrifique et interactif. Chaque mort est contrôlable, chaque personnage est influençable… Si dans La Cabane dans les Bois nous regardions des personnages jouer avec d’autres personnages, dans Until Dawn nous devenons les manipulateurs.
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Fort de ce succès, Supermassive Games va faire de ce format leur marque de fabrique. En 2018, ils lancent The Dark Pictures Anthology, série de jeux reprenant la même structure. S’étalant sur 4 jeux (et bientôt 5), cette saga a prouvé la viabilité du modèle vidéoludique proposé par le modèle original, qui recevra ensuite une suite spirituelle avec l’excellent The Quarry, puis un remake en 2024. Et donc c’est en 2025 que sort l’adaptation cinématographique, bouclant ainsi la boucle, le jeu nourri par les classiques du cinéma horrifique revient finalement vers le médium qui lui a donné naissance. Mais là où le jeu innovait en proposant une multitude de possibilités narratives et horrifiques, le film est obligé de s’en tenir à une histoire unique, à moins que celui-ci ne parvienne à trouver une pirouette pour s’en sortir.
Et cette pirouette a été trouvée avec une idée à la fois amusante et pertinente: la boucle temporelle. Adapter la boucle de gameplay d’un jeu narratif n’est pas chose aisée: un jeu construit comme un film, mais s’étalant sur bien plus longtemps (5-6h dans le cas de Until Dawn) et dont le principal intérêt est de redémarrer une partie afin de voir les différentes issues possibles… L’équipe fait donc le choix de plonger les personnages du film dans une boucle temporelle, afin de pouvoir s’amuser - et amuser le spectateur - sur les différentes issues possibles de cette histoire au carcan bien connu (encore une fois, La Cabane dans les Bois n’est jamais loin). Et là où le jeu se concentrait sur un tueur et des wendigos, préférant centrer sa narration sur les personnages et le fait de les tuer ou non, le film va préférer explorer différentes menaces. Et si les antagonistes du jeu sont bien présents, on y retrouvera également une sorcière, un virus, une possession… Le film n’est donc pas tant une adaptation du jeu qu’une véritable boîte à outils horrifique, explorant différents thèmes et possibilités du genre. Et si La Cabane dans les Bois devenait petit à petit un objet théorique très amusant et parfois même plutôt malin, Until Dawn fait le choix d’assumer frontalement dans son objectif premier: divertir le spectateur. Que ce soit par des corps qui explosent - un très bel effet gore par ailleurs - des décors variés, des jumpscares plutôt efficaces…Tout est là, et fonctionne plutôt bien pendant une grande partie du film. Après une introduction rapide, la narration s’embarque rapidement dans le train fantôme. Et pendant 1h15, le tout fonctionne bien. Sans grand génie, l’ensemble est réalisé avec suffisamment de compétence et d’amour pour séduire.

Le début d'une très belle scène
Mais malheureusement, le film se prend les pieds dans le tapis au moment de conclure son histoire. Si son cœur narratif était avant tout un ensemble de plusieurs motifs horrifiques, l’histoire, en elle-même, n’était finalement qu’un prétexte, empilant personnages clichés et motifs épuisés (ce demi-compte à rebours fumeux…). Mais si ces faiblesses sont amplement compensées par le plaisir procuré par les éléments détaillés plus haut, elles se retrouvent forcément confrontées à la faiblesse narrative du film lors de la fin. Et c’est ainsi que le dernier acte du film retrouve un classicisme béat, sans intérêt et vain. Entre la bande de copains qui s’en sortent tous sourire aux lèvres, le grand méchant éliminé en quelques secondes, après un discours aussi convenu qu’idiot, le soleil qui se lève… Until Dawn est devenu Stardew Valley. Sans oublier le twist final ouvrant sur une suite, évidemment.
Finalement, Until Dawn c’est quoi ? A la surprise générale, l’échec a été largement évité, grâce à plusieurs idées de mise en scène et narratives étonnamment surprenantes et efficaces. Ajoutons à cela une certaine générosité, tant dans le bestiaire que dans les effets horrifiques, et le résultat est un agréable roller coaster, efficace et resserré. Et s’il est évidemment parasité par plusieurs éléments (la fin, ses personnages…), difficile de bouder son plaisir devant ce micro-miracle de production qui s’annonçait comme une future catastrophe, surtout au vu des précédentes productions Playstation Studios (Uncharted en tête de liste). Reste désormais à espérer que David F. Sandberg reste dans cette voie en se tenant le plus éloigné possible des collants en latex du DCEU, mais étant donné le relatif échec du film, mieux vaut préparer les mouchoirs.
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Critique par Corentin

